L'expression de l'esca et du BDA varie selon les parcelles. Mise en lumière d'un lien entre vigueur de la vigne et intensité des symptômes.
L’expression des maladies du bois, notamment l’esca et le BDA, varie fortement
selon les parcelles. Dans le cadre du projet Dep Grenache, lIFV et ses
partenaires mettent en lumière un lien entre vigueur de la vigne et intensité
des symptômes.
Précédemment, nous avions présenté l’état des lieux de la mortalité du
Grenache N et ses causes, issu de l’analyse de presque 300 parcelles d’environ
20 ans d’âge, sur 3 caves coopératives, réalisée dans le cadre du projet Dep
Grenache (projet PNDV financé de 2020 à 2024).
Dans la continuité de cette étude, nous avons continué à travailler avec
ces réseaux de parcelles afin d’étudier plus spécifiquement les maladies du
bois. Ces dernières constituent la cause la plus commune de mortalité du cépage
Grenache. Il y a donc un réel enjeu à mieux comprendre les raisons des
différents niveaux d’expression des symptômes qu’on trouve d’une parcelle à
l’autre afin de réduire la mortalité au vignoble.
L’esca-BDA sur Grenache : une maladie qui peut passer inaperçue mais
aux conséquences fortes sur la mortalité
L’esca et le BDA (Black Dead Arm, ou plus exactement le Botryosphaeria
dieback) sont les deux principales maladies du bois rencontrées dans la
région, l’eutypiose étant peu présente. Elles sont dues à un complexe de
champignons du bois, qui entrent dans le cep via les plaies de taille, forment
des nécroses dans le vieux bois.
A un certain moment, possiblement sous l’effet des toxines des champignons,
des symptômes apparaissent sur le feuillage. Le symptôme le plus reconnaissable
est les tigrures de feuilles (photo1). Les symptômes sur Grenache sont
particuliers car sévères : en plus des tigrures il y a souvent une chute
de tout ou partie des feuilles des rameaux, et cela peut concerner tous les
rameaux (photos 2). Ce qui ne doit pas être confondu avec l’apoplexie, où en
été, le cep sèche d’un coup et en totalité en quelques jours (photo 3). Cet aspect
« sévère » avec des chutes de feuilles fait que les vignerons
n’identifient pas toujours l’esca-BDA comme la cause de la mortalité.
Figure 1 : symptômes d’esca-BDA sur Grenache montrant (a) surtout des tigrures ; (b) des symptômes sévères avec chutes de feuilles. (c) apoplexie sur un cep de Grenache N. Les 3 formes de symptômes contribuent à la mortalité des parcelles de Grenache.
Dans la classification de la sensibilité des cépages à l’esca-BDA, le
Grenache N est plutôt classé dans les cépages peu sensibles, contrairement au
Mourvèdre ou au Cabernet Sauvignon par exemple. Effectivement, le Grenache N montre
peu de symptômes en comparaison de ces autres cépages (à partir de 5% de ceps
symptomatiques, une parcelle de Grenache N peut être considérée comme bien
atteinte) et comme on vient de le voir, ces derniers peuvent être discrets. En
revanche, le taux de mortalité des rameaux symptomatiques est très élevé. Moins
de symptômes mais de forme sévère et amenant à une forte mortalité : au
final, la mortalité due à l’esca-BDA des Grenaches peut être aussi forte, voire
pire, qu’un Cabernet Sauvignon. Il conviendrait de rajouter la mortalité dans
les critères de classification de sensibilité des cépages à l’esca-BDA.
Des facteurs connus qui influencent l’expression de l’esca dans une
parcelle
Il y a donc un vrai enjeu à mieux connaître les facteurs d’expression de
l’esca-BDA. Parmi ceux-là, le cépage en tête, mais aussi l’âge de
la parcelle (expression maximale autour de 15-20 ans puis les symptômes
décroissent à partir de 25 ans), le climat (les années à printemps
pluvieux et étés chauds sont plus favorables) ou le mode de taille (nous
avons montré dans Dep Grenache que la taille mécanique de précision entraîne 2
à3 fois moins de symptômes que la taille manuelle).
Malgré ce, pour un même cépage, âge et secteur géographique, on observe
encore une forte disparité de l’expression entre parcelles. C’est ce qu’on a constaté
en 2021 sur les 3 réseaux de parcelles (figure 2) : de 0% à plus de 10% de
ceps symptomatiques d’esca-BDA. Les conséquences sur la mortalité sont très
différentes entre de tels niveaux.
Figure 2 : diversité
de l’incidence de l’esca-BDA sur les parcelles notées en 2021 sur les 3 réseaux
suivis. Cépage unique=Grenache N. Effet de l’âge : maximal autour de 20
ans.
Suivi agronomique des parcelles : vigueur et contrainte hydrique
l’année précédente ressortent associées à l’esca
Pour étudier les raisons de ces différences entre parcelles, nous nous
sommes intéressés à l’impact de la vigueur des parcelles. Notre
hypothèse était que les fortes expressions de symptômes étaient associées à de
fortes vigueurs. Pour cela, nous avons réalisé un suivi agronomique sur 30
parcelles par réseau, de très peu atteintes à très atteintes.
En 2022 et 2023, nous avons réalisé un suivi de l’alimentation hydrique et
azotée des parcelles, nous avons noté la couverture du sol, le niveau de
vigueur et de production des parcelles, puis en fin d’été, l’expression de
l’esca-BDA. Et ce sur chacun des 3 petits secteurs géographiques travaillés,
sur lesquels peu de variation climatique existait.
Il ressort que dans la majorité des cas, la vigueur de la vigne est la variable qui explique le mieux les différences d’expression de l’esca-BDA : plus la vigueur est faible, moins il y a de symptômes (fig3). Les plus fortes expressions de symptômes sont effectivement sur les parcelles de forte vigueur, même s’il peut y avoir des parcelles vigoureuses avec peu d’esca : cela suggère que d’autres facteurs influent sur l’expression de l’escaBDA.
Figure 3 : Lien
entre la vigueur (en abscisses) et l’expression de l’esca-BDA (en ordonnées).
Exemple de l’année 2022.
Dans un cas toutefois, celui du réseau du Gard en 2023, la variable qui est
la plus corrélée avec l’esca-BDA est la contrainte hydrique de 2022, même si la
vigueur de 2023 est également influente. Sur ce réseau, les parcelles les plus
atteintes en 2023 sont celles qui avaient à la fois une bonne vigueur et ont
montré une plus forte contrainte hydrique en 2022.
La particularité de ce réseau est que les parcelles sont particulièrement
enherbées et qu’il a reçu moins de précipitations encore que les deux autres en
2022, ce qui a pu aller jusqu’à un point critique et possiblement impacter la
remise en réserves en 2022. Allié à une forte vigueur printanière en 2023, ces
parcelles ont possiblement été mises en défaut pour se défendre contre l’esca
au printemps, entraînant plus de symptômes. Ce cas nous montre qu’au-delà de la
vigueur seule, c’est probablement toute la physiologie de la vigne qui est
impliquée dans l’expression des symptômes.
A l’opposé, les vignes enherbées de manière pérenne, avec de plus petits
rendements et souvent des feuillages également moins développés, sur des
terrains et des millésimes pas trop séchants, auraient des bilans de carbone
favorables à la synthèse de composés de défenses, expliquant que ces parcelles
montrent peu ou pas de symptômes. A l’extrême, on trouve les vignes abandonnées
qui ne montrent aucun symptôme d’esca.
Quelles applications immédiates pour les vignerons ?
Ce résultat est plutôt prometteur, notamment pour les parcelles vigoureuses
qui ont de l’esca. Dans ce cas, une des perspectives serait évidemment de
réduire la vigueur pour voir si les symptômes s’atténuent aussi. Bien sûr ce
faisant, le rendement peut également être réduit. Il conviendra alors de
trouver un compromis, car si l’on réduit également significativement la
mortalité, le bilan économique pourrait s’en retrouver meilleur à la fin.
Même si le projet Dep Grenache est à présent terminé, l’objectif est de
reconduire des travaux afin de pouvoir conseiller au mieux les vignerons qui
souhaiteraient réduire la mortalité, sans trop diminuer leur rendement. Nous
envisageons pour cela de réaliser des essais d’enherbement des parcelles. En
partant d’une parcelle vigoureuse et bien atteinte, et en jouant sur le niveau
de concurrence avec la vigne (flore, surface couverte et date de destruction du
couvert) ainsi que sur la fertilisation azotée, l’objectif sera de voir si
l’expression de l’esca BDA est réduite et pour quel niveau de rendement. Un
projet a été déposé et sera basé sur 2 parcelles issues du réseau Dep Grenache
du Gard.
Enfin, il y a aussi un enjeu à comprendre pourquoi des parcelles de forte
vigueur peuvent aussi ne pas montrer d’esca. L’hypothèse qui est faite est liée
à la qualité de taille. En effet il est connu que respecter certains principes
de taille (éviter les plaies trop rasantes, limiter les inversions,
ébourgeonner les parcelles…) amène à moins de bois mort et de nécroses dans les
ceps. Or les nécroses sont un préalable à l’expression des maladies du bois. Il
se peut donc que des parcelles vigoureuses ne montrant pas de symptômes aient
eu un historique de taille ayant conduit à moins de nécroses. Nous souhaitons le
vérifier, car cela pourrait constituer un argument et une motivation pour
favoriser l’adoption de ces principes de taille, aujourd’hui délicats à mettre
en place.
Résultats prévus d’ici 2 à 3 ans.
Les auteurs remercient chaleureusement les caves coopératives (Cave La Comtadine à Puyméras, Maison Sinnae à Laudun et Les Vignerons du Roy René à Lambesc) ayant aidé à la réalisation de ce travail ainsi que les vignerons des parcelles concernées.