Contaminations croisées au chai

Modifié le 01/03/2023

Synthèse des résultats du projet QualVinBio

Contaminations croisées au chai


Mené par Vignerons Bio Nouvelle Aquitaine et l’Institut Français de la Vigne et du Vin, le projet QUALVINBIO, soutenu par la Région Nouvelle Aquitaine de 2017 à 2020 a permis d’étudier les risques de contamination croisée, liés à la mise en commun d’équipements de cave entre des vinifications bio et conventionnelle (cas des ateliers mixtes, caves coopératives ou prestataires de service).


Les expérimentations menées à la fois en conditions maîtrisées, en laboratoire et en cave expérimentale, ainsi qu’en conditions réelles dans des exploitations, ont permis de faire un point sur l’origine de ces contaminations croisées en cave.

 

Etude en laboratoire de l’aptitude des matériaux à adsorber et relarguer des pesticides

L’hypothèse émise est que les résidus de pesticides présents dans un vin conventionnel peuvent se déposer et adhérer à des surfaces de matériaux poreux et adsorbants avec lesquels ils sont en contact pendant la vinification ou l’élevage. Ces résidus pourraient ensuite être relargués par ce matériel dans un vin biologique, provoquant ainsi des contaminations croisées.

Six matériaux ont ainsi été étudiés : caoutchouc, PVC, bois, époxy, polypropylène et inox.

 

L’adsorption par les matériaux est mesurée par la réduction des concentrations dans le vin conventionnel mis en contact avec les matériaux pendant 3 mois, par rapport au même vin, non mis en contact. Elle est variable selon les types de matériaux, et les molécules.

Les résultats ont mis en évidence des phénomènes significatifs d’adsorption des molécules phytosanitaires par trois matériaux : PVC, caoutchouc et bois.  Les réductions (toutes molécules confondues) sont plus importantes avec le PVC et le caoutchouc (respectivement 72 et 68% d’adsorption), moindres mais restent significatives avec le bois (52%) et nulles avec l’inox (tableau 1).

 

La désorption des résidus est mesurée par l’augmentation des concentrations en molécules phytosanitaires dans des vins bio mis en contact avec ces matériaux contaminés pendant 3 mois. Les concentrations mesurées dans les vins bio semblent démontrer un phénomène de relargage ou « désorption » des molécules par les matériaux expérimentés. La désorption se fait dès le premier mois.  On n’observe pas d’impact du rinçage sur la désorption.

 

Ces essais menés en laboratoire, ont permis de mettre en évidence un risque de contaminations croisées non négligeable, dû aux matériaux, même après un rinçage à l’eau.


 


Tableau 1 : Réductions moyennes en pourcentage entre les concentrations en molécules dans le vin non mis en contact avec les matériaux et le vin mis en contact pendant 3 mois à 12°- Essais en laboratoire IFV 2019

 

Etude de la contamination croisées en conditions pilotes maîtrisées

 

Quatre étapes jugées « critiques » durant la transformation ont été étudiées :  le pressurage, la filtration, les transferts et l’élevage en barriques.

Pour cela, de la vendange ou vin conventionnel est passé dans le procédé, suivie par de la vendange ou vin Bio (avec et sans nettoyage entre les deux lots).

 

Aucune contamination croisée significative n’a été mise en évidence lors du pressurage, que ce soit en pressurage direct du moût en vinification en rosé ou en pressurage du marc en vinification en rouge. 

 

Des contaminations croisées ont été observées lors de l’étape de filtration. Les essais ont mis en évidence la présence de contaminations croisées liées à la filtration sans rinçage entre un vin conventionnel et un vin bio. Les contaminations étant plus importantes avec les filtrations sur plaque 20*20 KDS15 qu’avec les filtrations sur cartouches polypropylène et membranes polyéthersulfone. La majorité des contaminations se fait dans les tous premiers litres filtrés.

Les filtrations réalisées avec rinçage entre le vin conventionnel et le vin bio ont montré qu’un rinçage à l’eau froide était souvent insuffisant pour éliminer totalement la contamination croisée liée à la filtration sur plaques, ou sur cartouches. En revanche, une régénération à l’eau chaude pendant 30 minutes a montré une très bonne efficacité car aucune molécule phytosanitaire dans le vin bio filtré n’a été retrouvée (tableau 2).




Tableau 2 : filtration sur plaques 20*20 KDS15 – modalité avec rinçage-résultats en mg/L-IFV 2020. ND : non détecté. NQ : non quantifié


Les essais menés sans rinçage entre le transfert d’un vin conventionnel et celui d’un vin bio, montrent des contaminations du vin bio en molécules phytosanitaires, notamment dans les tous premiers litres transférés (tableau 3). Le transfert sans rinçage entre vin conventionnel et vin bio est donc, comme attendu, très fortement déconseillé. Un simple rinçage à l’eau froide du matériel (tuyau et pompe) n’est pas totalement efficace car on retrouve encore des traces de résidus dans toutes les fractions de vin bio transféré. Le simple rinçage à l’eau est insuffisant pour éliminer totalement les molécules adsorbées sur les surfaces.

Ces essais transferts, menés en conditions expérimentales ont permis de mettre en évidence des risques de contaminations croisées significatives, soit par mélanges (vin précédent restant dans les canalisations et pompes : points morts, gouttelettes adhérentes aux parois...), soit par adsorption des molécules phytosanitaires sur le PVC, puis désorption. A noter que les risques de contaminations croisées sont fonction des volumes transférés.  Une procédure complète de nettoyage - prélavage/nettoyage chimique/ rinçage – est donc recommandée pour éviter les contaminations croisées.




Tableau 3 : Essais transferts– modalité sans rinçage-résultats en mg/L-IFV 2020. ND : non détecté. NQ : non quantifié


Etude de la contamination liée au stockage des vins en barrique

 

Un vin conventionnel a été réparti dans 6 barriques en chêne de petite taille (10 L). Les analyses de résidus portent sur le vin conventionnel prélevé à différentes périodes permettant d’étudier la cinétique de contamination des barriques pendant 6 mois (figure 1).

Une diminution des concentrations des différentes molécules a été observée au cours de la conservation du vin conventionnel pendant 6 mois en barriques. Cela semble démontrer une absorption par les barriques des différentes molécules. Les réductions des concentrations sont variables selon les molécules. Toutes molécules confondues, la réduction des concentrations dans le vin conventionnel est de 43% entre T0 et T6 mois. Elle est significative dès le premier mois de stockage. On observe ensuite un palier entre 1 et 3 mois, puis à nouveau une diminution des concentrations entre 3 et 6 mois.





Figure 1. Cinétique d’adsorption des molécules par les 6 barriques- moyennes en µg/L -IFV 2018-2019


Au 6e mois, le vin biologique est entonné, avec ou sans rinçage des barriques :

                - les barriques 1, 2, 3 sont soutirés et non rincés avant entonnage du vin Bio.

                - les barriques 4, 5, 6 sont soutirés et rincés avant entonnage du vin Bio.

Le rinçage comprend trois phases d’environ 1 minute chacune (eau froide, eau chaude, eau froide).

 

Les contaminations du vin Bio par relargage éventuel du bois sont étudiées en cinétique pendant 9 mois (figure 2). Nous constatons, au cours de l’élevage, une contamination en résidus des vins Bio et ce, dès le premier mois d’élevage. L’augmentation des concentrations mesurées dans les vins Bio au cours du temps laisse penser qu’il existe un phénomène de relargage ou « désorption » de ces molécules par le bois. On n’observe pas d’impact du rinçage des barriques sur la désorption.

 

 


Figure 2 : Cinétique de contaminations du vin Bio par les futs – moyenne des 6 futs en mg/L -IFV-2019-2020


Ces essais ont mis en évidence de possibles contaminations croisées liées à l’adsorption de résidus par des fûts ayant contenu du vin conventionnel pendant quelques mois.

 

Etude de la contamination croisée en « conditions réelles » : en propriétés.

 

Plusieurs domaines présentant les risques de contaminations croisées les plus importants et pour lesquels la traçabilité du raisin au vin est assurée ont été sélectionnés en 2018 et suivis pendant les trois années d’étude.

L’expertise des sites sélectionnés a montré la présence quasi-systématique d’acide phosphonique dans les vins. La majorité de la contamination en acide phosphonique semblant provenir soit de contamination croisée au vignoble par la proximité de parcelles conventionnelles, soit au chai dans le cas des ateliers mixtes. Les observations montrent que les contaminations sont fortement liées au millésime et à la pression parasitaire. Sur des millésimes avec faible pression parasitaire comme 2019, les contaminations croisées diminuent. Sur chacun des sites suivis, des préconisations ont ainsi été proposées pour diminuer la contamination pesticide, notamment sur les procédures de nettoyage au chai qui doivent être très strictes. Parler de contamination croisée auprès de prestataires (filtration, machine à vendanger…) peut également permettre d’anticiper des risques.

 

Conclusion

En conclusion, les expérimentations menées dans le cadre du projet Qualvinbio, à la fois en laboratoire, cave expérimentale, et suivi de propriétés ont permis d’avancer sur les risques de contaminations croisées en cave et d’avoir davantage de recul sur les molécules retrouvées de manière récurrente.

Une vigilance au niveau des étapes de filtration, de transfert et d’élevage en barriques ayant été en contact avec du vin conventionnel est conseillée afin d’éviter les risques de contaminations croisées liées à l’adsorption-désorption de résidus par le PVC (pour la filtration et les transferts) et par le bois (pour les barriques). 

Et pour en savoir plus sur le sujet, inscrivez-vous aux webinaires des 20 et 27 Mars 2023, dans la rubrique agenda de ce site.