Synthèse des résultats du projet QualVinBio
Mené par Vignerons Bio Nouvelle Aquitaine et l’Institut Français de la Vigne et du Vin, le projet QUALVINBIO, soutenu par la Région Nouvelle Aquitaine de 2017 à 2020 a permis d’étudier les risques de contamination croisée, liés à la mise en commun d’équipements de cave entre des vinifications bio et conventionnelle (cas des ateliers mixtes, caves coopératives ou prestataires de service).
Les
expérimentations menées à la fois en conditions maîtrisées, en laboratoire et
en cave expérimentale, ainsi qu’en conditions réelles dans des exploitations,
ont permis de faire un point sur l’origine de ces contaminations croisées en
cave.
Etude en laboratoire de l’aptitude des matériaux à adsorber et relarguer des pesticides
L’hypothèse
émise est que les résidus de pesticides présents dans un vin conventionnel
peuvent se déposer et adhérer à des surfaces de matériaux poreux et adsorbants
avec lesquels ils sont en contact pendant la vinification ou l’élevage. Ces
résidus pourraient ensuite être relargués par ce matériel dans un vin
biologique, provoquant ainsi des contaminations croisées.
Six matériaux
ont ainsi été étudiés : caoutchouc, PVC, bois, époxy, polypropylène et inox.
L’adsorption par les
matériaux est mesurée par la réduction des concentrations
dans le vin conventionnel mis en contact avec les matériaux pendant 3 mois, par
rapport au même vin, non mis en contact. Elle est variable selon les types de
matériaux, et les molécules.
Les résultats ont
mis en évidence des phénomènes significatifs d’adsorption des molécules
phytosanitaires par trois matériaux : PVC, caoutchouc et bois. Les réductions (toutes molécules
confondues) sont plus importantes avec le PVC et le caoutchouc (respectivement 72 et 68% d’adsorption), moindres mais restent
significatives avec le bois (52%) et nulles avec l’inox (tableau 1).
La désorption des résidus est mesurée par
l’augmentation des concentrations en molécules phytosanitaires dans des vins
bio mis en contact avec ces matériaux contaminés pendant 3 mois. Les
concentrations mesurées dans les vins bio semblent démontrer un phénomène de
relargage ou « désorption » des molécules par les matériaux
expérimentés. La
désorption se fait dès le premier mois.
On n’observe pas d’impact du rinçage sur la désorption.
Ces essais menés en laboratoire, ont permis de mettre en évidence un risque de contaminations croisées non négligeable, dû aux matériaux, même après un rinçage à l’eau.
Tableau 1
: Réductions moyennes en pourcentage entre les concentrations en molécules dans
le vin non mis en contact avec les matériaux et le vin mis en contact pendant 3
mois à 12°- Essais en laboratoire IFV 2019
Etude de la contamination croisées en
conditions pilotes maîtrisées
Quatre étapes jugées « critiques » durant
la transformation ont été étudiées :
le pressurage, la filtration, les transferts et l’élevage en barriques.
Pour cela, de la vendange ou vin conventionnel est passé dans le procédé,
suivie par de la vendange ou vin Bio (avec et sans nettoyage entre les deux lots).
Aucune contamination croisée significative n’a été
mise en évidence lors du pressurage, que ce
soit en pressurage direct du moût en vinification en rosé ou en pressurage du marc
en vinification en rouge.
Des
contaminations croisées ont été observées lors de l’étape de filtration. Les essais
ont mis en évidence la présence de contaminations croisées liées à la
filtration sans rinçage entre un vin conventionnel et un vin bio. Les
contaminations étant plus importantes avec les filtrations sur plaque 20*20
KDS15 qu’avec les filtrations sur cartouches polypropylène et membranes
polyéthersulfone. La majorité des contaminations se fait dans les tous premiers
litres filtrés.
Les filtrations réalisées avec rinçage entre le vin
conventionnel et le vin bio ont montré qu’un rinçage à l’eau froide était
souvent insuffisant pour éliminer totalement la contamination croisée liée à la
filtration sur plaques, ou sur cartouches. En revanche, une régénération
à l’eau chaude pendant 30 minutes a montré une très bonne efficacité car aucune
molécule phytosanitaire dans le vin bio filtré n’a été retrouvée (tableau 2).
Tableau 2 :
filtration sur plaques 20*20 KDS15 – modalité avec rinçage-résultats en mg/L-IFV
2020. ND : non détecté. NQ : non quantifié
Les essais menés sans rinçage entre le
transfert d’un vin conventionnel et celui d’un vin bio, montrent des contaminations du vin bio en molécules
phytosanitaires, notamment dans
les tous premiers litres transférés (tableau 3). Le
transfert sans rinçage entre vin conventionnel et vin bio est donc, comme
attendu, très fortement déconseillé. Un
simple rinçage à l’eau froide du matériel (tuyau et pompe) n’est pas totalement
efficace car on retrouve encore des traces de résidus dans toutes les fractions
de vin bio transféré. Le simple rinçage à l’eau est insuffisant pour éliminer
totalement les molécules adsorbées sur les surfaces.
Ces essais transferts, menés en
conditions expérimentales ont permis de mettre en évidence des risques de
contaminations croisées significatives, soit par mélanges (vin précédent restant
dans les canalisations et pompes : points morts, gouttelettes adhérentes aux
parois...), soit par adsorption des molécules phytosanitaires sur le PVC, puis
désorption. A noter que les
risques de contaminations croisées sont fonction des volumes transférés. Une procédure complète de nettoyage -
prélavage/nettoyage chimique/ rinçage – est donc recommandée pour éviter les
contaminations croisées.
Tableau 3 : Essais
transferts– modalité sans rinçage-résultats en mg/L-IFV 2020. ND : non
détecté. NQ : non quantifié
Etude de la contamination liée au
stockage des vins en barrique
Un vin
conventionnel a été réparti dans 6 barriques en chêne de petite taille (10 L).
Les analyses de résidus portent sur le vin conventionnel prélevé à différentes
périodes permettant d’étudier la cinétique de contamination des barriques pendant
6 mois (figure 1).
Une
diminution des concentrations des différentes molécules a été observée au cours
de la conservation du vin conventionnel pendant 6 mois en barriques. Cela
semble démontrer une absorption par les barriques des différentes molécules.
Les réductions des concentrations sont variables selon les molécules. Toutes
molécules confondues, la réduction des concentrations dans le vin conventionnel
est de 43% entre T0 et T6 mois. Elle est significative dès le premier mois de
stockage. On observe ensuite un palier entre 1 et 3 mois, puis à nouveau une
diminution des concentrations entre 3 et 6 mois.
Figure 1. Cinétique d’adsorption des molécules par les 6 barriques- moyennes
en µg/L -IFV 2018-2019
Au 6e
mois, le vin biologique est entonné, avec ou sans rinçage des barriques :
- les barriques 1, 2, 3 sont
soutirés et non rincés avant entonnage du vin Bio.
- les barriques 4, 5, 6 sont
soutirés et rincés avant entonnage du vin Bio.
Le rinçage
comprend trois phases d’environ 1 minute chacune (eau froide, eau chaude, eau
froide).
Les
contaminations du vin Bio par relargage éventuel du bois sont étudiées en
cinétique pendant 9 mois (figure 2). Nous constatons, au cours de l’élevage,
une contamination en résidus des vins Bio et ce, dès le premier mois d’élevage.
L’augmentation des concentrations mesurées dans les vins Bio au cours du temps
laisse penser qu’il existe un phénomène de relargage ou « désorption » de ces
molécules par le bois. On n’observe pas d’impact du rinçage des barriques sur
la désorption.
Figure 2 : Cinétique de contaminations du vin Bio par les futs – moyenne des 6 futs
en mg/L -IFV-2019-2020
Ces essais ont mis en évidence de possibles contaminations
croisées liées à l’adsorption de résidus par des fûts ayant contenu du vin
conventionnel pendant quelques mois.
Etude de la contamination croisée en
« conditions réelles » : en propriétés.
Plusieurs domaines présentant les risques de contaminations croisées les
plus importants et pour lesquels la traçabilité du raisin au vin est assurée ont été
sélectionnés en 2018 et suivis pendant les trois années d’étude.
L’expertise des sites sélectionnés a montré la présence
quasi-systématique d’acide phosphonique dans les vins. La majorité de la
contamination en acide phosphonique semblant provenir soit de contamination
croisée au vignoble par la proximité de parcelles conventionnelles, soit au
chai dans le cas des ateliers mixtes. Les observations montrent que les
contaminations sont fortement liées au millésime et à la pression parasitaire. Sur des millésimes avec faible pression
parasitaire comme 2019, les contaminations croisées diminuent. Sur
chacun des sites suivis, des préconisations ont ainsi été proposées pour
diminuer la contamination pesticide, notamment sur les procédures de nettoyage
au chai qui doivent être très strictes. Parler de contamination croisée auprès
de prestataires (filtration, machine à vendanger…) peut également permettre
d’anticiper des risques.
Conclusion
En conclusion, les expérimentations menées dans le
cadre du projet Qualvinbio, à la fois en laboratoire, cave expérimentale, et
suivi de propriétés ont permis d’avancer sur les risques de contaminations
croisées en cave et d’avoir davantage de recul sur les molécules retrouvées de
manière récurrente.
Une vigilance au niveau des étapes de filtration, de
transfert et d’élevage en barriques ayant été
en contact avec du vin conventionnel est conseillée afin d’éviter les risques
de contaminations croisées liées à l’adsorption-désorption de résidus par le
PVC (pour la filtration et les transferts) et par le bois (pour les barriques).
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