50 ans en vallée du Rhône : Le changement climatique et ses conséquences sur la vigne et le raisin

Modifié le 04/07/2023

Au fil des années, les conditions météorologiques ont évolué, influençant la physiologie de la vigne et la qualité du raisin : degrés plus élevés, raisins moins acides, baies plus petites… Focus sur les conséquences du changement climatique sur la vigne et les raisins de Grenache en Vallée du Rhône.

50 ans en vallée du Rhône : Le changement climatique et ses conséquences sur la vigne et le raisin

Les changements climatiques observés depuis 50 ans. 2022 : année charnière ?


Au cours des dernières décennies, la Vallée du Rhône a été témoin de changements significatifs liés au climat. L’année 2022 est souvent considérée comme une année charnière, car elle reflète les nouvelles conditions climatiques qui deviendront presque normales pour le climat de 2050. Pour mieux comprendre ces changements, il est important d’examiner les évolutions observées au cours des 50 dernières années.

Parmi les changements notables, on observe une augmentation de 3°C de la température entre la floraison et la récolte, ce qui a un impact sur la maturation du raisin. De plus, il y a eu une diminution des précipitations de 50 mm pendant cette période, ce qui affecte la disponibilité de l’eau pour la vigne. Les données climatiques (SAFRAN) révèlent également une diminution de 10% des jours humides au printemps et de 33% des jours humides entre la floraison et la récolte. Enfin, il y a maintenant 4 jours de canicule supplémentaires par été, avec des températures dépassant les 35°C.


Le diagramme ci-dessus caractérise les 50 derniers millésimes selon leurs précipitations et leurs températures pendant le cycle végétatif. On constate que la plupart des derniers millésimes sont chauds et secs. 2022 est plus extrême que 2003.


L’accélération du cycle de la vigne


Toutes ces modifications climatiques ont induit une accélération du cycle de la vigne en Vallée du Rhône, car le cycle de la vigne est très dépendant des températures et se calcule souvent en « degrés-jours » à partir de seuils de température. Le débourrement, qui marque le début de la croissance des bourgeons, se produit maintenant 15 jours plus tôt qu’il y a 50 ans. La floraison, qui est essentielle pour la formation des grappes, a également lieu 12 jours plus tôt. De plus, la véraison, lorsque les raisins changent de couleur et commencent à mûrir, et la récolte se produisent désormais 18 jours plus tôt.

Cette accélération du cycle de la vigne présente des défis pour les viticulteurs, la maturation du raisin étant plus rapide il est plus délicat de déterminer la maturité optimale du raisin pour la récolte. Les conditions météorologiques plus chaudes et les dates de

récolte avancées exigent une adaptation des pratiques viticoles pour maintenir la qualité des raisins et des vins.


Cette chronologie met en évidence l’avancée des stades phénologiques depuis les années 1970. Les points rouges représentent les stades, extrêmement précoces, de 2022.


La triple peine pour la vigne


Premièrement, l’avancement du cycle de la vigne conduit à une maturation du raisin en août plutôt qu’en septembre, ce qui se traduit par des températures plus élevées (+2,5°C en moyenne). Cela a pour conséquence une augmentation plus rapide du taux de sucre dans les raisins, ce qui peut influencer l’équilibre et le profil aromatique du vin.

Deuxièmement, avec le changement climatique, les températures en août sont encore plus élevées qu’auparavant (+2,5°C en moyenne), ce qui accélère davantage l’augmentation du taux de sucre. Cela peut entraîner des vins avec un degré d’alcool plus élevé.

Ces deux effets cumulés entraînent une augmentation de la température moyenne de maturation de près de 5°C sur les 50 dernières années !

Enfin, l’augmentation des températures entraîne une évapotranspiration plus élevée de la vigne, ce qui signifie que la vigne a besoin de plus d’eau pour se développer correctement. Entre floraison et récolte, on a certes une diminution de 50mm des précipitations, mais on a surtout une augmentation de l’évapotranspiration de 100mm. A la fin, cela donne une aggravation du déficit hydrique de 150mm en 50 ans.


Ce graphique représente l’évolution des températures, par décennie, depuis les années 1960 à Orange. Il montre d’une part l’avancement du cycle de la vigne (1) et d’autre part l’augmentation des températures moyennes à date égale (2). Les lettres encadrées indiquent les stades de la vigne : D=débourrement, F=floraison, N=nouaison, V=véraison, R=récolte.

 

Conséquences sur le raisin


Les conséquences du changement climatique sur le raisin en Vallée du Rhône sont multiples. Au cours des 50 dernières années, on a observé une diminution de 1,3 g/L dans les raisins à la récolte. Cela est principalement dû à l’effet des températures élevées pendant la phase de maturation, qui entraînent une dégradation plus rapide de l’acide malique. Le raisin récolté est ainsi moins acide.


Diminution de l’acidité totale des raisins de Grenache noir en CDR observée depuis les années 1970.


De plus, l’augmentation des températures a entraîné une augmentation de 2,6 % vol. d’alcool potentiel dans le raisin. Cette augmentation est liée à l’accumulation accrue de sucre dans les raisins, favorisée par les températures plus élevées.


Augmentation de l’alcool potentiel des raisins de Grenache noir en CDR observée depuis les années 1970.

 

 

Par ailleurs, des températures élevées et une disponibilité en eau plus faible lors de la phase de grossissement des baies ont entraîné une diminution significative du poids des baies : 200 baies de Grenache pesaient en moyenne 410g au début des années 1970, elles ne pèsent en moyenne aujourd’hui plus que 324g, soit une diminution de 20% du poids des baies.


Diminution du poids des baies de Grenache noir en CDR observée depuis les années 1970.

 

Des relations claires entre l’évolution du raisin et celle du climat


Les relations entre climat du millésime et qualité du raisin à la récolte sont connues et se retrouvent ici sur le profil du raisin à maturité en vallée du Rhône, pour les 50 dernières années.

Par exemple,

Les températures élevées pendant la maturation entrainent une dégradation plus rapide de l’acide malique : plus il fait chaud pendant la maturation, moins le raisin à la récolte est acide, comme cela a été le cas en 2003 et 2022 notamment.


Relation entre acidité des raisins de Grenache noir à la récolte et température pendant la maturation


Beaucoup d’ensoleillement et des températures élevées accélèrent l’accumulation de sucre. : en été, plus il fait ensoleillé et plus il fait chaud, plus le degré d’alcool potentiel à récolte sera important. Cela a été observé sur les derniers millésimes (2019, 2020, 2022).


Relation entre alcool potentiel des raisins de Grenache noir à la récolte et température pendant la maturation

 

La température pendant les premières phases de grossissement des baies est cruciale pour les poids de baies à récolte : plus il fait chaud entre nouaison et fermeture de la grappe (≈ mois de juin), plus la phase de grossissement sera courte, et plus les baies seront petites. Cela a été le cas en 2019, année marquée par une canicule fin juin, alors que les baies étaient en pleine phase de grossissement. Cette année est une année record pour la taille des baies.


Relation entre le poids de 200 baies de Grenache noir à la récolte et température pendant la phase de grossissement des baies

 

Comment s’adapter ?


Au vignoble, des pratiques culturales adaptées peuvent être mises en place pour faire face aux conditions climatiques changeantes. Cela peut inclure l’ajustement des dates et des modes de taille, la gestion de l’exposition des grappes au soleil (ombrage), du travail du sol et de l’enherbement, l’utilisation de techniques d’irrigation raisonnée pour compenser le déficit hydrique croissant, et l’exploration de nouvelles variétés de raisin mieux adaptées aux températures plus élevées. La surveillance précise des paramètres climatiques et des stades de développement de la vigne peut également aider les viticulteurs à prendre des décisions éclairées.

En cave, les œnologues peuvent s’adapter en ajustant les techniques de vinification pour compenser les changements dans la composition du raisin. Par exemple, des stratégies de vinification spécifiques peuvent être utilisées pour équilibrer les niveaux d’acidité et d’alcool dans le vin, en contrôlant les températures de fermentation et en adaptant les levures, les macérations et les élevages.

L’expérimentation de ces nouvelles pratiques et l’innovation dans les processus de conduite de la vigne et de vinification sont essentielles pour préserver la typicité et la qualité des vins de la Vallée du Rhône.

 

Sources : données analytiques des raisins du réseau maturité d’InterRhône depuis 1969, données météo de la station d’Orange-Caritat (infoclimat).


Pour en savoir plus sur la méthodologie employée : https://oeno-one.eu/article/view/4727


Pour accéder aux données : https://entrepot.recherche.data.gouv.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.15454/H8VJCM